Premièrement, exprimons toutes nos condoléances à sa famille, au peuple américain et au Groupe Alcoa, car Paul O'Neill est décédé en 2020, à l'âge de 85 ans.
Il a été secrétaire au trésor du Président Bush (le fils) lors des 2 premières années de son mandat. En revanche, ce sont ses fonctions de haut rang au sein du célèbre "Office of Management and Budget" des USA, lors des administrations Nixon et Ford, qui vont nous servir pour illustrer en quoi notre sujet d'étude est un exemple inspirant, dans la propension que certains leaders exceptionnels ont d'apporter du changement, partout où ils passent.
Nous allons également explorer son expérience de CEO du groupe minier et sidérurgique américain, ALCOA, propriétaire d'une partie des actions de la Compagnie des Bauxites de Guinée (CBG), qui lui a permise de changer l'entreprise à travers un programme de transformation aussi structurant qu'atypique à l'époque : l'amélioration de la santé-sécurité.
LA METHODE DES LISTES
Depuis sa vie d'étudiant, Paul O'Neill a toujours organisé son existence autour de la rédaction de listes. Les fameuses "To Do list."
Au sortir de ses 3 années d'études à l'université Fresno en Californie, c'est dans une de ces listes que Paul O'Neill mentionne "apporter du changement" comme objectif de vie.
Sa carrière de haut fonctionnaire au sein de l'administration publique américaine débute à la faveur de l'admission par concours. De 300 mille candidats à 300 retenus en passant par 3000 interviews, Paul O'Neil devient cadre moyen à la Veteran Administration, le ministère des anciens combattants.
Là encore, c'est la fameuse propension de P.O à dresser des listes, qui lui permet de gravir les échelons année après année. Au sein des services, il dressait des listes cherchant à comprendre pourquoi certains programmes marchaient mieux que d'autres en termes de production de résultats, les fournisseurs qui respectaient les délais et ceux qui ne les respectaient pas.
De "fil en aiguille" sa réputation de cadre administratif qui trouvait des solutions aux problèmes grâce à ses listes, grandit.
L'OFFICE OF MANAGEMENT OF BUDGET OÙ LA GUERRE AUX HABITUDES ORGANISATIONNELLES IMPRODUCTIVES
C'est l'un des départements les plus puissants de l'administration fédérale américaine. Il arrive dans ce service, grâce à la bonne réputation qui le précède. Nous sommes dans le milieu des années 60. Au poste de DGA (Directeur Général Adjoint) P.O est l'un des hommes les plus importants de la capitale américaine, à l'âge de 38 ans.
Le premier projet auquel il s'attèle consiste à créer un cadre analytique des dépenses du gouvernement américain en matière de santé publique.
Il se rend compte que les décisions en la matière ne répondent pas à de la logique de priorité mais plutôt à des habitudes destinées à obtenir des récompenses. Merci de lire ce billet écrit il y a quelques années sur le pouvoir des habitudes Le pouvoir des habitudes
Quelles étaient ces récompenses? Il s'agissait de promotion ou de réélection. Le souci est que des hôpitaux étaient systématiquement construits à des endroits ou l'on n'avait pas nécessairement besoin de lits supplémentaires.
"Ce qui comptait, c'était de bâtir un établissement de santé que les politiciens s'approprieraient, et qui leur permettrait de récolter des voix."
"Les fonctionnaires fédéraux consacraient des mois à débattre de la couleur des rideaux, à décider si les chambres des patients devaient être équipées d'une télévision, ou à concevoir l'agencement des postes d'infirmière, autant d'initiatives inutiles, explique O'Neill. La plupart du temps, personne ne se demandait même si la ville voulait d'un hôpital. Les fonctionnaires avaient pris l'habitude de résoudre tous les problèmes d'ordre médical en lançant ces chantiers, afin qu'un parlementaire puisse annoncer: "voilà ce que j'ai fait!" Cela n'avait aucun sens, mais tout le monde reproduisait ce schéma en permanence."
Ce qui est intéressant, c'est le fait que ce type "d'habitudes institutionnelles" sont la réalité dans la quasi-totalité des organisations/entreprises étudiées : "les individus ont des habitudes; les groupes respectent certaines routines" Geoffrey Hodgson spécialiste en évaluation des schémas organisationnels.
Pour P.O c'est une forme de renonciation à la décision, "au profit d'un processus qui exclut toute réflexion véritable."
Son expérience à l'Office à été l'opportunité pour lui de rencontrer aussi des structures d'Etat qui mettaient sur pieds, les bonnes routines organisationnelles.
Au sein de la NASA (National Space Agency/Agence Nationale de l'Espace) la direction à instauré une routine qui devint une habitude organisationnelle consistant à applaudir à chaque fois qu'un engin explosait en vol. L'objectif était d'encourager les ingénieurs à la créativité, à ne pas se décourager, à foncer dans la mise en oeuvre de projets car ce n'est qu'ainsi que la technique s'améliore. Comme le dit le fameux dicton que nous connaissons tous en Afrique, "c'est en forgeant que l'on devient forgeron."
Une telle dynamique de routines organisationnelles positive était également à l'eouvre selon P.O au sein de l'E.P.A (Environment Protection Agency/ Agence de Protection de l'Environnement) qui avait été créée en 1970.
Son premier administrateur, William Ruckelshaus, avait, d'après P.O, mis en oeuvre des habitudes organisationnelles susceptibles d'encourager les régulateurs à se montrer agressifs dans l'application des règlementations. "Si des juristes demandaient l'autorisation d'intenter une procédure ou de faire intervenir la police, la décision était soumise à approbation. L'attitude par défaut consistait à donner le feu vert. L'agressivité dans la décision était récompensée."
"Chaque fois que je me suis penché sur un service gouvernemental, j'ai relevé les habitudes qui paraissaient expliquer l'échec ou la réussite de certaines initiatives. Les meilleures agences comprenaient l'importance de ces routines. Les pires étaient dirigées par des gens qui n'y réfléchissaient jamais, et qui se demandaient ensuite pourquoi personne n'obéissait à leurs ordres."
Exténué, il démissionne après 16 ans, sur la pression de son épouse, n'en pouvant plus d'élever seule les enfants. Il est vrai que travailler 7j/7 et 15h par jours est fort impactant pour la vie de famille.
Ses premiers mots officiels de CEO d'Alcoa étaient consacrés à la Santé-Sécurité. Pourquoi?
Parce que pour lui, le contexte dans lequel se trouvait ce grand groupe minier/sidérurgique américain ne fournissait aucune thématique structurante, fédératrice de toutes les parties prenantes de l'entreprise, en proie à des remous sociaux internes et à des difficultés financières importantes.
Toujours fidèle à sa méthode des listes, lorsque des amis à lui, anciens collègues au sein de l'administration fédérale et membres du Conseil d'Administration d'Alcoa à l'époque, l'approchent pour lui proposer le poste de CEO de l'entreprise, il n'accepte pas tout de suite et demande un délais de réflexion.
C'est dans ce processus de réflexion marqué par l'établissement d'une fameuse liste, déroulant ses priorités au cas ou il prenait le poste, que P.O se rend compte que la compagnie avait de sérieux soucis en matière de sécurité des travailleurs. La qualité de sa production était "médiocre" selon les analystes.
P.O réfléchissait dans un contexte ou le précédent CEO d'Alcoa avait essayé "d'imposer des améliorations, et quinze mille employés s'étaient mis en grève. Cela s'était tellement envenimé qu'ils investissaient les parkings des usines en y brandissant des mannequins habillés en costumes de directeur, et mettaient le feu à ces effigies. Alcoa n'était pas une famille épanouie."
C'est fort de tout ceci qu'il compris que sa priorité devrait être fédérative. Syndicats et dirigeants devaient tous être d'accord sur le caractère "prioritaire" de la priorité qu'il aura identifié.
Il lui fallait une thématique sur laquelle il allait mobiliser tout le monde et permettre le changement des méthodes de travail et de communication au sein de l'entreprise.
"J'ai repris les bases se rappelle-t-il. Chacun a eu au moins le droit de repartir de son lieu de travail en aussi bonne santé qu'il l'était à son arrivée, n'est ce pas? Vous n'avez pas à redouter de mourrir en assurant votre gagne pain et celui de votre famille. C'est là-dessus que j'ai décidé de me concentrer : modifier les habitudes de tous en matière de sécurité."
Il décida donc de mettre en premier sur sa liste, l'objectif "Zero Accident" et accepte le poste.
Lors de la première rencontre officielle avec les investisseurs institutionnels de l'entreprise dans un hotel New-Yorkais à l'automne 1987, ces derniers étaient complètement déconcertés lorsqu'ils entendirent leur nouveau CEO déclarer ceci :" Je voudrais vous parler de la sécurité au travail. Tous les ans, de nombreux ouvriers d'Alcoa se blessent, des blessures justifiant au moins une journée d'absence. Statistiquement, nous sommes mieux situés que la moyenne de la population active américaine, surtout si l'on considère que nos employés travaillent des métaux en fusion à 1500 degrés et manient des machines capables d'arracher le bras d'un homme. Mais ce n'est pas suffisant. K'ai l'intention de faire d'Alcoa l'entreprise la plus sûre d'Amérique. Je vise Zéro blessures."
Les investisseurs présents ce jours étaient en dehors de leur zone de confort habituelle. Il y en a un d'entre eux qui croyant bien faire, s'est précipité sur son téléphone, pour prévenir ses clients de tout de suite revendre leur portefeuille car il préfigurait la catastrophe. Un an après, lorsque les résultats positifs de la stratégie d'O'neill ont porté leur fruit, il exprima ses regrets les plus amères.
En quoi bâtir sa stratégie de redressement d'Alcoa autour de la Santé-Sécurité était une idée de génie?
Parce que seulement 1 année après, les profits de Alcoa atteignaient des niveaux "records" selon les analystes d'alors. En 2000 à sa retraite, le résultat net de Alcoa valait 4 fois plus que lorsqu'il prit les reines de l'entreprise, et la capitalisation boursière avait cru de 27 milliards USD supplémentaires.
Quand il prenait la tête d'Alcoa, chaque usine subissait un accident de travail par semaine. Lorsque le plan d'amélioration de la santé-sécurité fut mis en place, les accidents avaient disparus dans la majorité des usines Alcoa.
Il parvient à cela comment? Eh bien en "s'attaquant à une habitude" et en "observant ensuite la propagation de cette vague de changement à tout le groupe."
"Je savais que j'avais l'obligation de transformer Alcoa. Mais on ne peut pas ordonner aux gens de changer. Ce n'est pas ainsi que le cerveau de l'être humain fonctionne. J'ai donc décidé de me concentrer sur un seul élément. Si je réussissais à modifier les habitudes sur un seul point, ce changement se propagerait ensuite à tout le groupe."
O'Neill était convaincu que certaines habitudes disposent d'assez de force pour déclencher une réaction en chaîne, modifier d'autres habitudes au fu et à mesure qu'elles se communiquent à l'ensemble d'une organisation. Dit autrement, certaines habitudes comptent plus que d'autres, car elles peuvent remodeler des entreprises et des vies entières. Ce sont des habitudes clefs capables d'influencer la manière dont les gens travaillent, mangent, jouent, vivent, dépensent et communiquent. Ces habitudes clefs déclenchent un processus qui avec le temps, finissent par tout transformer.
En clair, les habitudes clefs sont de puissants leviers de transformation.
Maintenant, "allons en profondeur..."
Le plan de sécurité mis en oeuvre par Paul O'Neill était articulé autour de ce que l'on appelle "une boucle de l'habitude. Le signal c'était l'accident d'un employé. A chaque fois que survenait une blessure d'un employé, en 24 heures, le responsable du site de production en question (le directeur) devait transmettre son rapport au président O'Neill et lui soumettre un plan pour s'assurer que cet accident ne se reproduise plus.
La récompense associée à cette obligation est la promotion. Pas de promotion sans adhésion au système.
Pour que Paul O'Neill reçoive un rapport et un plan d'action d'amélioration en 24h, il fallait que les directeurs de site soient constamment en contact avec leurs sous-directeurs. Ces derniers aussi devaient être constamment en contact avec leurs chefs d'atelier. Les Chefs d'ateliers eux aussi doivent s'assurer que les ouvriers soient assez sensibilisés pour les tenir informés dès que survient un accident.
Il fallait donc un contact permanent des chefs d'atelier et ils devaient s'assurer que leur remonte le plus vite possible les suggestions d'amélioration dès qu'ils repéraient un problème, devant servir à élaborer le plan d'amélioration sur demande du sous-directeur.
Pour que ça fonctionne bien, les systèmes de communication internes de chaque unité a subit une transformation pour que l'information circule de l'ouvrier au plus haut niveau de l'encadrement, avec une exigence, celle de la rapidité.
On voit donc qu'à la base du bon fonctionnement de ce projet de transformation organisationnel, il y a une incitation: celle de dire "il n'y a plus aucune promotion tant que vous ne faites pas marcher les choses bien ainsi."
Avec ce nouveau système, de nouvelles habitudes germaient au sein de l'organisation Alcoa. Par exemple; les syndicats de Alcoa qui s'étaient longuement opposés à la mesure de productivité individuelle de chaque employé, ne voyait plus d'inconvénient à cela dans la mesure ou ils ont compris que le faire permettait notamment d'identifier les endroits ou le système se perturbait (danger pour les employés).
Avant, les directeurs ne voulaient pas donner l'autonomie de gestion à un ouvrier par exemple en lui permettant de décider d'interrompre la chaine de production lorsque la cadence était énorme. Le faire était dorénavant admis car ça permettait d'éviter les accidents.
Améliorer la santé sécurité chez Alcoa a créé de nouvelles routines constructives au point ou l'entreprise réalisait des économies dans le cadre des améliorations de processus. La qualité augmentait également.
En conclusion, il y a dans le cas d'Alcoa et du leadership de P. O, de quoi en inspirer plus d'un CEO, gérant ou directeur, pour impulser des programmes de transformation au sein de l'organisation qu'il dirige.
L'objectif ce billet, est d'être cette lueur qui va inspirer les uns et les autres d'améliorer, de le faire avec pertinence.
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